André Durussel

Lettre posthume à une Sœur

 

Chère Sœur Angèle,

Il y a déjà vingt ans cette année que vous quittiez notre monde des vivants à Saint-Loup, près de Pompaples, dans ce vallon du Nozon où la Communauté des  Diaconesses était venue s’établir en 1852, sous l’impulsion du pasteur  Louis Germond, précédemment à Echallens. Mais pourquoi donc, diriez-vous, cette lettre posthume, bien trop tardive ?

C’est, voyez-vous, pour tenter de mieux comprendre, puis de retracer partiellement votre parcours au sein de cette société rurale d’où vous êtes issue, puis dans le cadre de cette communauté de Saint-Loup. C’est là où vous avez acquis une formation dans le domaine médical après un certain temps de noviciat, puis travaillé durant une trentaine d’années, jusqu’à l’âge de la retraite, dans les divers établissements de la Suisse francophone, où l’on vous envoyait: ces « lieux de vie et de ministère ». Durant les années 1949-1950,  c’était en effet  29 hôpitaux régionaux, 11 EMS, 5 maisons pour tuberculeux , plus 25 œuvres de « Sœurs visitantes » itinérantes (ces premiers jalons des soins à domicile) qui bénéficiaient ainsi de l’engagement, corps et âme, des diaconesses de Saint-Loup dont vous faisiez partie .

Si, dès les débuts, leur fondateur avait le souci de la formation spirituelle et professionnelle des diaconesses, véritable école de vie avec un célibat imposé, voici par exemple et pour mémoire ce qu’il écrivait dans le onzième rapport de l’Institution, deux années après cette installation à Saint-Loup déjà évoquée. A cette époque lointaine, ce vocabulaire n’était guère surprenant:

« Notre établissement est avant tout une école. Former pour leur sainte tâche les femmes chrétiennes disposées à se dévoue au soin des malades gratuitement et pour l’amour du Sauveur. Fonder ainsi pour notre Suisse française réformée une institution doublement utile aux malheureux dont elle aspire à soulager les misères physiques et morales, et à l’Eglise à laquelle elle doit apporter un nouvel élément de vie. »

En juillet 1940, alors que la moitié de la France est occupée et que le plein pouvoir vient d’être accordé au Maréchal Philippe Pétain, à Vichy, vous voici jeune Sœur, âgée de 32 ans, consacrée parmi toute une volée où vous êtes la troisième à partir de la gauche.

Vous serez dès lors  envoyée à l’hôpital d’Orbe, puis à la Clinique pour enfants Wildermeth, à Bienne, inaugurée en 1903 avec 4 pavillons et 40 lits. Vous achèverez votre « ministère » comme directrice d’une Maison de Retraite à Yverdon-les-Bains, vous permettant en même temps d’accompagner vos parents âgés qui vivaient dans un chalet, à Yvonand. Vous étiez la seconde d’une famille de quatre enfants. Un frère aîné, Francis, né en 1904, puis deux frères après vous, Paul, né en 1910, puis Armand, en 1915. Ce dernier décédera à l’âge de 17 ans du tétanos, à la suite d’une blessure mal soignée. Vous aviez 24 ans à ce moment-là. Cet événement va probablement  motiver votre future vocation, mais vous n’en parliez jamais.

J’ai sous les yeux deux documents officiels vous concernant. Le premier, c’est votre passeport, établi à Orbe, valable jusqu’au 20 août 1940. Le second, avec votre même portrait photographique où vous paraissez très sérieuse, est intéressant, parce qu’il montre que les autorités militaire suisses reconnaissent officiellement cette formation en soins infirmiers donnée par Saint-Loup, au titre d‘infirmière auxiliaire de la Croix-Rouge, et cela déjà au lendemain de la guerre, en juin 1945, tandis que cela ne sera que deux années plus tard, en 1947, que cette même Croix-Rouge reconnaîtra la formation en soins infirmiers des responsables de l’Ecole de soins de Saint-Loup. Neuf années plus tard, cette Ecole sera aussi ouverte aux jeunes femmes laïques, ou d’autres confessions, tandis que les directives de Louis Germond vont subsister dans leur première partie seulement, en ce qui concerne le gratuitement de cette vocation qui demeure un sacerdoce.

C’est finalement en 1966 qu’une Caisse de pension sera instituée en fondation indépendante, pour aider financièrement les sœurs à l’âge de la retraite, sous l’impulsion du directeur Albert Curchod (1920-2017).

Voilà, chère Sœur  Angèle, ces quelques lignes que je tenais à vous écrire, parce que j’ai moi-même partagé autrefois avec vous d’inoubliables journées de vacances estivales, alors que vous viviez une retraite heureuse dans ce chalet hérité de vos parents.

 

Passeport de la Croix-Rouge
© L’Inédit

Les soeurs diaconesse de Saint-Loup
© L’Inédit