André Durussel

Le récit d’une NDE

Ah ! Cette lumière d’août…C’était il y a fort longtemps, alors que je travaillais auprès des Fonderies Gisling, cette entreprise sidérurgique de la Broye vaudoise, à Moudon. De retour d’un bref voyage professionnel de deux jours à Düsseldorf, où se tenait une foire internationale concernant les installations de fonderie, j’avais probablement reçu là-bas une mauvaise bactérie. Quelques jours après mon retour, ces bactéries s’étaient manifestées par une sorte de grippe. Le troisième jour, mon état de santé s’était encore aggravé. À la suite d’un examen radiographique fait par mon médecin de famille, aussi à Moudon, il diagnostiqua une image pulmonaire alarmante (pneumonie bilatérale atypique), l’on me conduisit le jour même au Centre hospitalier universitaire à Lausanne (CHUV). Deux jours plus tard, toujours alité, j’étais transféré dans une clinique spécialisée pour ce genre d’affections pulmonaires, nommée « Sylvana », située dans les hauts de la ville.   Placé sous Erythromycine par perfusion, ma température oscillait toujours en dessus de quarante et un degrés…Un certain soir, une infirmière était venue me prendre le pouls. Craignant une syncope, elle avait aussitôt appelé le médecin assistant. Je le vois encore enlever rapidement le cathéter qui provoquait (je l’ai appris beaucoup plus tard…) une phlébite infectieuse à mon bras gauche, non sans avoir allumé au préalable le grand éclairage au plafond de la chambre. Cette vive clarté, pour mes yeux fiévreux, habitués à la pénombre de la chambre, fut comme un appel lumineux. Elle inaugura ainsi mes derniers instants de lucidité et de perception sensorielle des voix, cela avant une incursion dans le monde de la mort imminente (EMI, désignée souvent sous le terme anglais de NDE), vécue d’une manière unique et saisissante. Celui que l’éclairage de la pièce avait peut-être favorisé ? Ma pneumonie était à mycoplasma pneumoniae, un diagnostic confirmé ultérieurement par la sérologie.

            Il existe certes une abondance de témoignages et d’ouvrages concernant ces états modifiés de la conscience. Nombreuses sont les personnes, aujourd’hui comme autrefois, qui ont semble-t-il vécu de telles expériences, mais n’en parlent pas volontiers, au risque de passer pour des illuminées ou des mystiques.  Si j’ai tenu à évoquer avec certains détails médicaux cette expérience personnelle de cette nuit du 19 juillet de l’année 1979, au temps de la moisson des orges, il y a lieu de rappeler ici ces lignes de Sylvie Déthiollaz et Claude Charles Fourrier :

 

« A l’heure actuelle, objectivement, force est de reconnaître que l’on n’a pas d’explication scientifique pour des phénomènes comme les NDE, ou d’ailleurs pour   tout autre EMC (Etat modifié de conscience) …ni d’ailleurs pour la conscience. Du point de vue de la science, l’énigme de la conscience et du spirituel demeure entière.
Pour la déchiffrer, l’étude des EMC non ordinaires constitue probablement la voie à suivre. Pourtant, entre essayer de prouver qu’il s’agit d’hallucinations ou de visions, ou de prouver que ce n’en sont pas, ne passe-t-on à pas côté de l’essentiel ?
Comme le disait Gandhi : « la vie n’est pas un problème à résoudre, mais un mystère à   vivre. »

(Etats modifiés de conscience. Edit. Favre, 2011, p.218.
Voir aussi : Cette vie…et au-delà. Enquête sure la continuité de la conscience après la mort. Dr. Christophe Fauré. Edit. Albin Michel, 2022, ISBN 9-782-2-226-47745-9).

Moudon : Eglise Saint-Etienne

En ce qui me concernait, j’étais entouré de toutes part de lumière, juché au sommet intérieur d’une sorte de pyramide éblouissante, semblable à celle de la charpente de l’église Saint-Etienne de Moudon (que je n’avais cependant jamais visitée à l’intérieur…). C’était une charpente très aérée, sans tuiles, ouverte vers le ciel.  Il n’y avait pas de voix, ni de musique, mais une atmosphère de plénitude et de bien-être absolu que des mots sont bien incapables de décrire. J’ignore la durée en minutes de cet état « ascensionnel ».   L’infirmière était toujours là, mais je ne la voyais pas encore. Me tenant par le bras, elle me dissuadait de redescendre, parce que j’étais effectivement resté étendu dans mon lit, et qu’il n’y avait pas lieu d’aller « plus bas » ! Un quart d’heure plus tard, tout redevint calme et je m’endormais bientôt, toutes lumières éteintes.

            Le lendemain matin, après un copieux petit-déjeuner, j’écrivis ces simples mots dans un carnet de bord toujours à ma portée, à la manière de Blaise Pascal en date du vingt-trois novembre mille six cent cinquante-quatre :

Grande paix ! Océan de paix.

            A partir de ce jour-là, ma température redevint normale. La radiographie pulmonaire était claire : j’étais pratiquement guéri ! Je quittais au début du mois d’août cette clinique, enrichi à jamais par cette singulière expérience. Cette théophanie (selon Paul Ricoeur) ne m’a certes rien expliqué, mais elle a définitivement changé mon regard, à la manière d’un vaccin contre la peur de la mort.

            C’est par ailleurs à de semblables constats qu’est parvenu aussi, plus récemment encore, le médecin et anesthésiste français Jean-Jacques Charbonnier, spécialiste des expériences de mort provisoire et auteur de nombreux ouvrages autour de ce domaine encore controversé de nos jours. Et plus récemment encore, le « roman » d’Emmanuelle de Boysson intitulé : Un coup au cœur (Calman-Lévy, janvier 2024). Il s’agit bien là d’une forme d’illumination qui, si elle n’a rien d’exceptionnel, demeure toutefois assez peu fréquente. Je pense ici à Henry Bauchau (1913-2012), ce poète, dramaturge et romancier belge. Il a tenu son « Journal » jusqu’à sa mort, publié sous le titre : « Dernier journal » (2006-2012) chez Actes Sud. Il cite ce passage d’une lettre que lui avait adressée Suzanne Rycx:

 

                        « Je me suis éveillée ce matin baignée d’une illumination, comme si,

            durant la nuit, quelqu’un était venu m’apprendre une vérité que jusqu’ici, je n’avais        pas perçue ou reçue. Celle que nous portons en nous, au cœur de notre être, une       lumière que rien n’a pu ni ne pourra éteindre, le mal que nous avons fait, nos      manquements, notre tiédeur, les influences néfastes ou nuisibles. Indépendante, elle       vit, survit, plus ou moins vacillante, plus ou moins lumineuse, elle est et sera avec             nous, sans doute, la part divine de ce que nous sommes, et quoique nous fassions, nous en serons le tabernacle. »  

 

            Il faut peut-être préciser encore ici que l’appartenance à une communauté religieuse ou non, voire après une formation théologique en histoire des religions, n’est pas un critère nécessaire pour accueillir une EMI. Beaucoup d’athées ont aussi vécu une telle expérience dans le monde et en vivent encore de nouvelles. On estime aujourd’hui que le 4% de la population mondiale aurait vécu de telles « illuminations ».

Mis à jour le 02.12.2024. ©