Photo de Georges Borgeaud, © 1990 photo Jean Mayerat, Films Plans-Fixes
Georges Borgeaud (1914-1998) et l’amour du végétale ?
Je viens de relire les substantiels articles que Stéphanie Cudré-Mauroux et Philippe de Riedmatten consacraient à Georges Borgeaud, et plus particulièrement à propos des « Lettres à ma mère » récemment publiées. N’étant pas moi-même de formation universitaire et n’ayant connu personnellement Georges B. qu’à partir du début des années 1980, ces deux contributions m’ont appris beaucoup de choses et remis à la surface de ma mémoire quelques souvenirs personnels. Je vais en évoquer un ci-après, parce qu’il me semblait compléter et éclairer un aspect de cette personnalité attachante, « bavarde pour se faire aimer », comme l’écrivait son ami Pierre-Olivier Walzer.
Une personnalité à la fois paysanne et mondaine, à l’aise dans tous les milieux, parce que son émerveillement était comparable à celui d’un enfant. J’ai aussi retrouvé dans ces deux articles, sans qu’elle ne soit jamais désignée sous ce terme, cette dévotion de l’auteur du « Voyage à l’étranger », bien que ce terme soit considéré aujourd’hui comme désuet et dépassé. La dévotion d’un contemplatif. (1)
C’est durant l’exposition des oeuvres du peintre français Pierre Boncompain, du 14 octobre au 19 novembre 1982 à la Galerie Bellefontaine, à Lausanne, que se situe ma première rencontre avec Georges Borgeaud. Une année plus tard, dans le cadre d’une correspondance assez peu fréquente, il m’avait confié en novembre 1983 quelques réflexions inédites autour de l’art romanesque : « Il faut que nos personnages aient toutes leurs dents ». Ces pages ont fait l’objet d’une réédition dans le tome III de « Mille Feuilles », publié par la Bibliothèque des Arts, à Lausanne, en 1997, p. 77 à 80. Nous nous sommes aussi retrouvés à la Galerie Bellefontaine lors de l’exposition Jean Bertolle (1909-1996), entre le 23 octobre et le 22 novembre 1986, et je suis allé une fois le visiter à Paris, rue Froidevaux, lors d’un stage de formation professionnelle complémentaire en archivistique. Ainsi, durant l’un de ses brefs séjours à Lausanne, je l’avais reçu dans une petite salle de conférence de l’entreprise auprès de laquelle j’étais engagé, proche de la place de la Gare.
Et là, traversant les grands couloirs du deuxième étage sous mon escorte, il s’était subitement arrêté devant une grande plante verte, placée loin d’une fenêtre :
– Ah ! Regarde cette plante ! Elle n’a pas suffisamment de lumière ici. C’est pour cela que ses feuilles jaunissent.
Sa remarque judicieuse était impérative. Elle m’avait aussitôt rappelé ces lignes de 1959, dans « La Vaisselle des Evêques », prononcées par Pierre Lorétan, son personnage :
J’ai, pour tout ce qui est végétal, un amour exclusif et jaloux. Quand quelqu’un cueille une fleur, quand il casse une branche, je le juge méprisable. S’il dévore un fruit, c’est sans comprendre combien il est beau ; s’il écrase un insecte, c’est par une cruelle ignorance. Je voudrais m’approprier toute la nature dans le but de la protéger. Oui ! Un pouvoir sur une plante, quel privilège ! (2)
Cette sensibilité de Georges Borgeaud n’était pas de la sensiblerie.
Nos nouvelles générations sont en train de redécouvrir cela.
André Durussel
1) La dévotion de G. Borgeaud. Revue « Choisir », Carouge GE, No 363, mars 1999, p.33-34
2) La Vaisselle des Evêques, roman. Edit. Gallimard, 1959, p. 91